samedi 10 janvier 2009

Aujourd'hui je n'ai pas marché rue des Martyrs.

Ce matin en sortant de l’appartement, je découvre un petit escalier en bois avec un peu de neige fondue sur le bord des marches. La rue est immense, les trottoirs sont larges, je regarde loin devant et rien ne me cache l’horizon.

J’avais oublié. Je ne suis pas chez moi. En ce moment, je vis ailleurs.

 

Aujourd’hui je n’ai pas marché rue des Martyrs. J’ai quitté la rue Saint-André, traversé la rue Saint-Hubert, longé la rue Saint-Denis pour rejoindre la rue Sainte-Catherine avant de parcourir le boulevard Saint-Laurent. Je n’ai pas croisé de kiosque à journaux, ni de colonne Meurisse. Je n’ai pas vu les fromages de chèvre de la rue des Abesses, les vieilles putes de la rue Piémontési, les ivrognes du boulevard de Clichy.

J’ai croisé des gens, des hommes, des femmes, des manteaux d’hiver et quelques collants en laine. Mais pas un seul poète à la veste blanche gribouillée de vers, pas un rabatteur au langage fleuri mais systématique.

Ici, on est aimable. Si vous regardez quelqu’un avec insistance, il finit par vous saluer. Aujourd’hui je n’ai pas joué des coudes pour tracer ma route boulevard de Rochechouart. Je ne me suis pas fait bousculer, personne ne m’a marché sur le pied, on n’a pas même soupiré dans mon dos parce que je n’avançais pas assez vite.

Ici le temps est froid et sec, il fait clair. Malgré ces grands buildings, les rues disproportionnées laissent passer la lumière. Pas de grisaille, pas de pluie fine sur les bouches d’égout glissantes, les feus rouges et les passages piétons. Pas de pigeons, d’immeubles haussmanniens, de rues étroites et sinueuses, de bâtiments tassés qui vous étouffent. J’aime quand dans la ville je suffoque, quand elle m’écrase du poids de son histoire.

Ce matin je n’ai pas pris un café sur le zinc du bar-tabac de la rue des Martyrs. Ici, on mange des bagels. C’est bon, mais je me lasse vite de ce qui est bon. Je préfère ce qui a du caractère. Ici il n’y a pas de troquets, de bistrots, il n’y a que des cafés. Pas de jambon-beurre, de rosette-cornichons mais des muffins. Ici, ils sont tous américains. Je ne peux pas leur en vouloir, ils ne savent pas que ce n’est plus à la mode.

Ils ne savent pas non plus ce qu’est un titi, un gavroche, un marlou qui fait peur aux rupins. Ils ignorent tout de l’histoire des faubourgs. Ils pensent aimer la beauté de la Butte mais c’est autre chose que la carte postale. Ils ne connaissent pas le son que fait un accordéon. M’sieurs, Dames, laissez-moi vous jouer la mélodie du macadam. J’ai été élevé au bitume, de l’asphalte dans mon biberon.

Ici, pas de cage d’escalier en colimaçon, ni d’ascenseur étroit où seul on se sent déjà de trop. Pas de parquet qui grince, quand tu rentres à 3h du mat’. Ici le soir, la ville s’endort et quand tu marches la nuit, tu es dérangé par le silence. Ma ville à moi ne ferme jamais l’œil, elle a du bruit plein la tête. Jacques dit qu’elle s’éveille à 5h, moi je ne l’ai jamais vu dormir. Que ce soit à l’heure de gloire, de vérité ou de l’apéro, ses rues ne cessent de chanter les airs de Fréhel, Bruant, Renaud, Montand.

Mais ici pas de banc vert sur les trottoirs. Et d’ailleurs rien n’est de la bonne couleur. La Poste n’est pas jaune et l’on n’y fait pas la queue. La neige est blanche. Normalement elle tombe grise, comme le ciel d’où elle provient et le trottoir où elle finit. Le métro est bleu, on a même de la place dedans.

Tu me manques, ô mon Paname, aux reflets vert bouteille.

Aujourd’hui je n’ai pas marché sur les pavés de la rue des Martyrs. Ici, c’est lisse. Les rues sont plates, droites, alignées ; la ville est jeune. Ma ville à moi est cabossée, défigurée, ridée comme un vieillard de deux mille ans. Elle te raconte des histoires à chaque coin de rue, te montre ses cicatrices sans honte et ses trésors avec fierté.

Ici, on respire bien, on respire trop. Que de grandes artères, pas de ruelles. Je suis asphyxié de dioxygène. Il me faut retrouver les veines de toutes sortes, grande, petite, fémorale, cave, porte qui parcourent le corps de ma ville pour irriguer son sacré cœur battant.

Paris pour moi est un royaume. Sur mon biceps j’ai tatoué son blason. Si j’ai un fils, je l’appellerai Paname. Et comme le dit Léo : « Paname. Si on te frappait, je prendrais les armes. ».

2 commentaires:

  1. Anonyme11/1/09

    C'est un vrai plaisir de te lire avant de commencer ma journée.
    Je compte sur toi pour que ça devienne une habitude !
    Vous embrasse.

    RépondreSupprimer
  2. Anonyme19/1/09

    Cela te réussit pas trop mal de prendre un peu de distance. En espérant que tu continues à ne rien faire aujourd'hui.
    Bises de loin

    RépondreSupprimer