samedi 17 juillet 2010

Ce que je n'ai pas fait cette année.

Un an depuis Montréal.

J’ai un peu de mal à savoir si ça fait longtemps ou pas.

Les images sont encore assez nettes mais le nom des rues commence à s’effacer. Il faut chercher, souvent s’agacer.

« Mais si ! Tu sais la petite rue là, derrière Mont Royal ! Où il y avait la piscine ! Putain comment elle s’appelait cette rue !!! »

J’imite de plus en plus mal l’accent québécois.

Le récit du retour de Saint-Félicien ne fait plus rire personne.

Quand il fait moins de quinze degrés, j’ai froid.

Montréal est loin.


Pourtant il ne s’est pas passé grand chose depuis que nous sommes rentrés.

L’année précédente fut tellement riche que celle-ci ne semble pas avoir constitué la même durée.

Alors je cherche ce que j’ai bien pu ne pas faire pour que cette année passe sans exister.


- je ne suis pas devenu prof

- je ne suis pas devenu cuisinier

- je ne suis pas devenu quincaillier (mais je n’ai pas essayé)

- je n’ai pas voyagé

- je n’ai fait aucune découverte scientifique

- je n’ai pas quitté ma meuf

- je ne lui ai pas fait d’enfant

- je n’ai pas remplacer la quatrième corde de mon ukulélé

- je n’ai pas appris l’italien

- je n’ai pas passé mon permis

- je n’ai pas acheté de chaussures

- je n’ai pas lu La Bible

- je n’ai pas écrit la moindre ligne sur ce blog


En réalité j’avais parfaitement conscience que cette année me filait entre les doigts mais je n’ai pas su la retenir.

Je crois que les choses sont en train de changer.

vendredi 23 janvier 2009

Aujourd'hui je n'ai pas oublié Pépère.

Tu sais, elle me parlait beaucoup de toi. Elle racontait, il est comme ci, il est comme ça. Je suis sûre que tu vas lui plaire, tu verras.


Tu sais, elle disait : « Je l’aime tellement. Plus le temps passe et plus je l’aime. » Alors ça lui a fait quelque chose quand t’es parti, comme ça, sans prévenir personne. Elle me disait : « C’est fou, je l’ai vu une semaine avant il était en pleine forme. »

Tu sais, tout le monde était sur le cul en apprenant la nouvelle. Moi on m’avait dit : « C’est un roc, le grand-père, il est solide. » Alors je m’étais pas méfié, je prenais mon temps avant de te rencontrer.

T’aurais quand même pu m’attendre bordel ! Je rentre dans la famille au moment où toi tu te barres. J’aurais tellement aimé te plaire. Mais t’es parti sans que j’ai le temps de te dire bonjour.

Je savais pas moi, je savais pas que tu prendrais ce train là. J’ai juste eu le temps d’arriver sur le quai pour accompagner le wagon d’un signe de la main. J’espère quand même que tu as jeté un petit coup d’œil, histoire de voir à quoi je ressemble.

J’aurais aimé que tu partes tranquille, en te disant : « Ça va. Elle est entre de bonnes mains. » Mais t’es parti à l’improviste sans que je puisse te serrer la main.

C’est tout de même con de gravir quatre-vingts marches et de se casser la gueule sur la dernière.

Tu sais, j’avais tout imaginé, je savais comment ça allait se passer. Je serais venu plein d’anxiété, parce que ça fait quelque chose de rencontrer le patriarche. J’aurais dit « Bonjour » tout penaud, les yeux baissés sur mes chaussures. Tu m’aurais dit « Salut mon gars » ou quelque chose comme ça, quelque chose de local, quelque chose qui met à l’aise, qui fait comprendre qu’ici on ne fait pas de manière. J’aurais pesé tous mes mots, j’aurais essayé de dire des choses intelligentes sans en faire trop pour te montrer que je suis quelqu’un de bien, que la petite fille est entre de bonnes mains.

Les jours de fête, dans la grange, on aurait mangé tous ensemble, autour d’une grande table en bois. T’aurais sûrement rouspété parce que c’est trop cuit ou parce que les enfants font trop de bruit. Moi, j’aurais trouvé ça charmant.

Je t’aurais observé, longuement, au bout de la table. J’aurais regardé tes mains calleuses, tes gestes sûrs. J’aurais aimé ta façon de couper le pain ou d’éplucher un fruit avec ton couteau personnel.

Peut-être qu’un jour on serait devenu copains. On serait parti en balade, tu m’aurais raconté des histoires sur ton pays, parce qu’il paraît que tu l’aimais ton pays.

Elle me disait : « C’est un vrai berrichon, tu sais. Il l’aime sa région. Il la parcourt sans cesse, le bâton à la main. Il en connaît tous les recoins, et tout le monde connaît Jules dans le coin. Il paraît que même les arbres le saluent sur son passage. »

On aurait peut-être même parlé football, il paraît aussi que tu aimais ça. C’est fou, on était fait l’un pour l’autre toi et moi.

J’aurais tellement aimé que tu dises : « C’est un bon gars celui-là. » J’aurais tellement aimé que tu vois que c’est sérieux entre elle et moi.

Mais ça sert plus à rien maintenant tout ça. Parce que toi t’es plus là, et moi je reste ici, avec des souvenirs qui n’en sont pas, avec mes fantasmes de toi.

Aujourd’hui j’ai quand même l’impression de te connaître, tu vois. Et même si je crois pas à toutes ces conneries du genre : « de là où il est je pense qu’il nous voit » ; et ben j’aimerais bien, malgré cela, ne pas rester un inconnu pour toi.

Alors si jamais tu t’ennuies, parce que l’éternité c’est quand même long faut dire, passe nous voir un de ces quatre, histoire qu’on cause un peu tous les deux et que tu nous racontes comment ça se passe après. Nous on t’attendra, y aura toujours une chaise pour toi.

Tu nous manques.

 

Tu sais, elle continue à me parler de toi. Elle raconte, il était comme ci, il était comme ça. C’est dommage, tu lui aurais plu je crois.

vendredi 16 janvier 2009

Aujourd'hui je n'ai pas résolu l'énigme cotentinoise.

Ce matin, j’ai participé à une formation professionnelle. Tous les responsables régionaux de mon secteur étaient invités à se rendre au siège parisien pour que nous soit expliquée la nouvelle version de notre logiciel informatique de gestion de personnel.

Ces journées de formation sont une routine des plus ennuyeuses. Mais aujourd’hui, suite à la récente fusion de notre entreprise, nous découvrions de nouvelles têtes. La journée a donc commencée par un tour de présentation.

L’exercice était assez simple : assis autour d’une grande table ovale au milieu de laquelle étaient disposés un thermos de café et un panier de minies viennoiseries, il fallait que nous déclinions chacun notre tour notre prénom, notre nom et la région dont nous étions responsable.

 

Michel Lefebvre, Limousin. Josiane Lecointre, Bourgogne. Denis Pelissou, Aquitaine. Jean-Louis Dourdant, Auvergne. 

 

Surpris par la succulence d’un petit pain aux raisins sans prétention et distrait par le décolleté de la nouvelle responsable Champagne-Ardenne, je n’étais pas très attentif au rituel de présentation.

Quand, soudain : « Patrick Hochart, Cotentin. »

Cet homme, grand, moustachu, avec une petite pochette marron dont la lanière de cuir entourait son poignet, venait d’égayer ma journée. Il avait prononcé le mot Cotentin.

Ce nom, si rarement entendu, sans doute jamais lu, renvoie pourtant à un sémantisme évident dans mon esprit. Même hors de tout contexte, ce signifiant exprime clairement une zone géographique, que je suis cependant absolument incapable de situer.

Tout le monde s’entendra sur le fait que le Cotentin est un lieu et non une chose ou une action. On n’a jamais entendu quelqu’un dire : « Ce matin Martine était de mauvaise humeur, elle avait encore oublié son Cotentin dans la voiture. » ou « Hier j’ai Cotentin la voisine comme c’était dimanche. ».

Nous connaissons tous ce mot pour l’avoir entendu un jour à la télé avant l’éphéméride. Pourtant personne n’est capable de situer cette région sur une carte, pas même Julien Lepers. Le présentateur météo, seul être au monde habilité à prononcer le mot Cotentin, en est lui aussi incapable. De temps en temps il annonce un peu de brouillard givrant sur le Cotentin, mais il se garde bien de le pointer du doigt sur la carte.

Ma théorie est la suivante : à l’origine, il s’agit d’une blague d’Alain Gillot-Pétré. Un jour, pour délirer avec des potes à catogan, il a dû annoncer une température sur le Cotentin.

 

Attention aux orages sur le Golfe du Lion. Demain matin, on aura un petit huit degrés sur le Cotentin, douze à Perpignan et treize à Biarritz. On gagnera trois minutes de soleil et n’oubliez pas de fêter les Patrick.

 

Ça passe tout seul. Depuis, comme il était le boss de la profession, personne n’a osé remettre en cause l’existence du Cotentin et l’on annonce quotidiennement les températures d’une région imaginaire.

C’est pour cela que nous devons être très peu nombreux à savoir que le Cotentin n’existe pas. Nous devons former une sorte de communauté secrète, dont Patrick Hochart doit être un membre éminent. Il doit même y avoir des réunions clandestines de la Communauté de ceux qui savent que le Cotentin n’existe pas.

 

-       Tu viens d’où ?

-       J’suis originaire du Cotentin.

-    Ok, c’est bon. Vas-y rentre.

 

Ou alors le Cotentin est un mensonge d’état. Une région inventée par le gouvernement pour faire croire qu’il s’y passe tout plein de choses qui les arrangent. Un endroit où le taux de criminalité, le taux de chômage, le nombre de SDF et de bavures policières seraient très faibles, ce qui leur permet de rééquilibrer les chiffres. Un outils de propagande utilisé par Pernaut à 13h :

 

En ces temps difficiles, une petite entreprise qui ne connaît pas la crise. Dans le Cotentin, l’industrie du chausson est florissante. Dans le petit atelier de son entreprise familiale, Mr Ledoux n’a jamais autant travaillé. Reportage Marie-Christine Ambert et Romain Ledentu. »

 

Comme j’ai une conscience journalistique au moins aussi élevée que celle de Jean-Pierre Pernaut, j’ai cherché sur Wikipédia des informations complémentaires. « L’encyclopédie libre » nous indique que le Cotentin est également appelé le « pays de Coutances ».

J’ai donc poursuivi mes recherches en me concentrant sur Coutances, qui pour tout le monde est une ville mais que personne ne peut situer, ce qui semble confirmer son appartenance au Cotentin. Dans l’article consacré à cette ville, on peut lire : «  Coutances est une commune française, située dans le département de la Manche et la région Basse-Normandie. Elle est notamment connue pour sa cathédrale, son festival Jazz sous les pommiers. Coutances est le siège d'un évêché. »

Aucune trace du Cotentin ! La preuve est faite, le Cotentin est un « pays » imaginaire. 

Imaginaire certes, mais un « pays » tout de même. Et quelle est donc cette unité géographico-administrative française qu’est le « pays » ? Il y aurait donc des pays dans le pays ?

Peut-être qu’il s’agit de ces zones uniquement délimitées afin d’être représentées par une miss. Ces zones qui expliquent les appellations d’origine non contrôlée de miss Artois Hainaut, miss Albigeois, miss Quercy Rouergue. Cependant, jamais une miss Cotentin n’a défilé en maillot devant le chapeau de Geneviève. Et cela ne fait que confirmer notre thèse d’une supercherie nationale.

Ou alors s’il existe, le Cotentin est un pays secret, caché. Un pays souterrain construit dans une grande fosse aux parois lisses quelque part en Normandie. On vous jette dedans et vous ne pouvez plus jamais remonter, ni voir la lumière du jour. C’est Le pays dont on ne revient jamais.

Il a sans doute été créé pour y envoyer tous les individus que notre société ne peut supporter. Nous, nous connaissons des dictateurs, des bourreaux, des serial killers, des terroristes. Mais ce n’est rien à côté du Cotentin. Là-bas, n’importe quel type est au moins trisomique raciste lépreux anarchiste unijambiste siamois albinos et pédophile. Ou pire, c’est peut-être un pays peuplé par des clones de Pascal Bruner.

Quand je pense qu’un jour ma mère m’a dit : « Si tu continues comme ça à l’école, cet été tu iras deux mois en colo dans le Cotentin ! » En fait ça doit être ça le Cotentin, un pays secret où l’on envoie les enfants dont on veut se débarrasser. Un pays cauchemardesque au service de tous les parents dont le fils s’appelle Bernard.

samedi 10 janvier 2009

Aujourd'hui je n'ai pas marché rue des Martyrs.

Ce matin en sortant de l’appartement, je découvre un petit escalier en bois avec un peu de neige fondue sur le bord des marches. La rue est immense, les trottoirs sont larges, je regarde loin devant et rien ne me cache l’horizon.

J’avais oublié. Je ne suis pas chez moi. En ce moment, je vis ailleurs.

 

Aujourd’hui je n’ai pas marché rue des Martyrs. J’ai quitté la rue Saint-André, traversé la rue Saint-Hubert, longé la rue Saint-Denis pour rejoindre la rue Sainte-Catherine avant de parcourir le boulevard Saint-Laurent. Je n’ai pas croisé de kiosque à journaux, ni de colonne Meurisse. Je n’ai pas vu les fromages de chèvre de la rue des Abesses, les vieilles putes de la rue Piémontési, les ivrognes du boulevard de Clichy.

J’ai croisé des gens, des hommes, des femmes, des manteaux d’hiver et quelques collants en laine. Mais pas un seul poète à la veste blanche gribouillée de vers, pas un rabatteur au langage fleuri mais systématique.

Ici, on est aimable. Si vous regardez quelqu’un avec insistance, il finit par vous saluer. Aujourd’hui je n’ai pas joué des coudes pour tracer ma route boulevard de Rochechouart. Je ne me suis pas fait bousculer, personne ne m’a marché sur le pied, on n’a pas même soupiré dans mon dos parce que je n’avançais pas assez vite.

Ici le temps est froid et sec, il fait clair. Malgré ces grands buildings, les rues disproportionnées laissent passer la lumière. Pas de grisaille, pas de pluie fine sur les bouches d’égout glissantes, les feus rouges et les passages piétons. Pas de pigeons, d’immeubles haussmanniens, de rues étroites et sinueuses, de bâtiments tassés qui vous étouffent. J’aime quand dans la ville je suffoque, quand elle m’écrase du poids de son histoire.

Ce matin je n’ai pas pris un café sur le zinc du bar-tabac de la rue des Martyrs. Ici, on mange des bagels. C’est bon, mais je me lasse vite de ce qui est bon. Je préfère ce qui a du caractère. Ici il n’y a pas de troquets, de bistrots, il n’y a que des cafés. Pas de jambon-beurre, de rosette-cornichons mais des muffins. Ici, ils sont tous américains. Je ne peux pas leur en vouloir, ils ne savent pas que ce n’est plus à la mode.

Ils ne savent pas non plus ce qu’est un titi, un gavroche, un marlou qui fait peur aux rupins. Ils ignorent tout de l’histoire des faubourgs. Ils pensent aimer la beauté de la Butte mais c’est autre chose que la carte postale. Ils ne connaissent pas le son que fait un accordéon. M’sieurs, Dames, laissez-moi vous jouer la mélodie du macadam. J’ai été élevé au bitume, de l’asphalte dans mon biberon.

Ici, pas de cage d’escalier en colimaçon, ni d’ascenseur étroit où seul on se sent déjà de trop. Pas de parquet qui grince, quand tu rentres à 3h du mat’. Ici le soir, la ville s’endort et quand tu marches la nuit, tu es dérangé par le silence. Ma ville à moi ne ferme jamais l’œil, elle a du bruit plein la tête. Jacques dit qu’elle s’éveille à 5h, moi je ne l’ai jamais vu dormir. Que ce soit à l’heure de gloire, de vérité ou de l’apéro, ses rues ne cessent de chanter les airs de Fréhel, Bruant, Renaud, Montand.

Mais ici pas de banc vert sur les trottoirs. Et d’ailleurs rien n’est de la bonne couleur. La Poste n’est pas jaune et l’on n’y fait pas la queue. La neige est blanche. Normalement elle tombe grise, comme le ciel d’où elle provient et le trottoir où elle finit. Le métro est bleu, on a même de la place dedans.

Tu me manques, ô mon Paname, aux reflets vert bouteille.

Aujourd’hui je n’ai pas marché sur les pavés de la rue des Martyrs. Ici, c’est lisse. Les rues sont plates, droites, alignées ; la ville est jeune. Ma ville à moi est cabossée, défigurée, ridée comme un vieillard de deux mille ans. Elle te raconte des histoires à chaque coin de rue, te montre ses cicatrices sans honte et ses trésors avec fierté.

Ici, on respire bien, on respire trop. Que de grandes artères, pas de ruelles. Je suis asphyxié de dioxygène. Il me faut retrouver les veines de toutes sortes, grande, petite, fémorale, cave, porte qui parcourent le corps de ma ville pour irriguer son sacré cœur battant.

Paris pour moi est un royaume. Sur mon biceps j’ai tatoué son blason. Si j’ai un fils, je l’appellerai Paname. Et comme le dit Léo : « Paname. Si on te frappait, je prendrais les armes. ».

lundi 5 janvier 2009

Aujourd'hui je n'ai pas appelé mon fils Bernard.

Aujourd’hui je n’ai pas appelé mon fils Bernard.

Deux sens possibles à cette phrase :

  1. J’ai un fils, il s’appelle Bernard et aujourd’hui je ne lui ai passé aucun coup de fil.
  2. J’ai un fils, il n’a pas encore de prénom et aujourd’hui j’ai décidé qu’il ne s’appellerait pas Bernard.

Quand on me connaît un peu, on se doute qu’il faut privilégier la deuxième solution. Bien que ce que je vais essayer d’expliquer ici, c’est que si par malheur j’avais un fils qui s’appelait Bernard, je prendrais bien soin de ne pas l’appeler.

 

Aujourd’hui, je n’ai donc pas appelé mon fils Bernard. Tout d’abord parce que je n’ai pas de fils, mais surtout parce que je déteste le prénom Bernard.

Cette aversion pour ce prénom aux sonorités pourtant si mélodieuses vient sans doute du fait que je ne connais aucun Bernard qui a su me réconcilier avec son prénom. Tout homme (ou femme) prénommé(e) Bernard part avec un a priori négatif à mes yeux et aucun n’a réussi à modifier mon jugement a posteriori.

Il suffit, pour justifier ce propos catégorique, de dresser la liste des Bernard célèbres : Bernard Lavilliers, Bernard Kouchner, BHL (dont on oublie trop souvent qu’il s’appelle Bernard), Bernard Tapie, Bernard Minet, Bernard Diomède, Bernard Montiel, Bernard Menez, …

Ringards, faux-culs, pédants, escrocs, loosers ; on trouve de tout chez les Bernard. Les profils sont variés, malheureusement c’est une variation sur le même thème.

Il y a bien Bernard  Hinault, quintuple vainqueur du Tour de France. Mais un Bernard ne peut génétiquement pas être un héros du guidon. C’est pourquoi les journalistes l’ont très vite surnommé « le blaireau » sous le fumeux prétexte que, tout comme l’animal, il ne lâchait pas facilement ses proies.

Alors il nous reste Bernard Pivot, seule véritable exception : cultivé, ancien animateur d’une émission digne sur la culture à la télévision, membre de l’académie Goncourt (est-ce réellement un point positif ?), fervent défenseur de la langue française et de sa Littérature. Son attachement pour la dictée est certes un peu démodé, mais les charmes surannés de la troisième République ont peuplé nos fantasmes de maîtresses en tailleur bleu marine, cheveux tirés et lunettes à travers lesquelles un regard sévère est prêt à tomber sur nous à tous moments pour nous donner une punition.

Je m’égare. (Oh oui Madame ! Faites-moi revenir dans le droit chemin !)

En réalité, la raison principale pour laquelle je ne peux me résoudre à appeler mon fils Bernard, c’est que tout le monde finirait immanquablement par le surnommé « Nanar ». Or un grand nombre de phrases n’existent pas avec « Nanar » dedans.

Par exemple, il est impossible d’entendre : « Viens Nanar, on va s’achté des bombec’ à la boulang’. » ou « Putain j’suis trop en stress, Chloé a invité Narnar à sa boum de samedi. J’ai trop envie d’sortir avec lui !!! ».

Donc mon fils n’aurait aucun copain, si ce n’est des Kevin. Il passerait son enfance cloîtré dans sa chambre et n’aurait même pas de jouets pour se distraire car personne ne lui offrirait de cadeaux à Noël. Lorsqu’on a un Nanar dans la famille, on prend déjà sur soi pour tolérer sa présence les jours de fête mais écrire son nom sur un cadeau, c’est vraiment trop dur. Quant à son anniversaire, le jour de la naissance de Narnar est plutôt un événement que l’on tend à oublier dans la famille. Alors en perpétuer le souvenir n’est pas la meilleure méthode…

Il n’aurait aucun avenir professionnel. Personne ne s’est jamais fait soigner par docteur Nanar ou défendre par maître Nanar. Le mieux qu’il puisse faire serait de reprendre un bar-tabac où Julo l’apostropherait quotidiennement d’un : « Nanar, remets moi une Suze ! ». Voilà une phrase plausible avec « Nanar ». C’est comme : « Eh Nanar, on se fait un karaoké ? Ce soir y’a une spéciale Johnny. » ou « Vazy Nanar, balance ton Opinel ! J’ai rien pour étaler les rillettes. ».

Non franchement, si c’est pour que mon fils finisse à Deuil-la-Barre, avec la nuque longue, un berger allemand, des regroupements tunning tous les vendredi soirs sur le parking de l’Intermarché, je préfère encore un procès pour infanticide. Je plaiderais les circonstances atténuantes et j’aurai de grandes chances d’obtenir des dommages et intérêts pour préjudice moral.

Alors futurs parents, si vous voyez pendant les examens de contrôle qu’il y a le moindre risque que votre enfant s’appelle Bernard, n’attendez pas plus longtemps pour prendre la décision qui s’impose. 

samedi 27 décembre 2008

Aujourd’hui je n’ai pas été pris pour remplacer Johnny Depp dans Pirates des Caraïbes 4.

Lundi dernier, je prenais un pot à La Taverne avec Martine qui voulait absolument m’expliquer comment, à cause de « La crise », elle avait été obligée de vendre son troisième enfant à des chinois. Enfin ça, c’est une autre histoire.

Ce soir-là, donc, une petite affiche près du bar attire mon attention. Dans un style plutôt inattendu, elle annonçait :

 

« Hisse et oh, Moussaillons ! Le Black Pearl largue les amarres pour voguer vers de nouvelles aventures et cet insubmersible navire se cherche un nouveau capitaine. Saisis ta chance ! »

 

Puis en bas, en petits caractères :

 

« Casting pour le rôle de Jack Sparrow, Dimanche 28 décembre, port de Los Angeles. ».

 

Je sors mon agenda. Comme je n’avais rien de prévu avant le tournage d’une pub au mois d’avril, je note l’information.

Ce matin, je me lève donc de bonne heure pour rejoindre l’aéroport. En achetant mon billet au comptoir American Airlines, l’hôtesse me demande :

- Vous réglez en Visa, Mastercard, American Express ?

Bizarrement, j’ai senti là une bonne occasion de préparer mon audition. Et sans trop réfléchir, je me mets à gueuler avec ce que je pense être une voix de corsaire :

- Petite friponne ! Comment oses-tu demander ça à un pirate ! Si je n’étais pas pressé, j’te couperais la langue !

Mauvaise idée…

Après un petit détour dans les coulisses du service des douanes de l’aéroport et un petit détour du service des douanes dans les coulisses de mon anatomie, je parviens à prendre le prochain vol pour L.A.

La production avait mis les moyens, le casting avait lieu sur un bateau. Une fois arrivé au port, j’ai vite compris que je ne ferai pas le poids.

Sur le pont, attendant l’ouverture à intervalles réguliers de la cale où se déroulaient les auditions, une bande de pirates patientait. Mais attention, pas des pirates d’eau douce. Des vrais pirates ! Avec toute la panoplie : sabre, jambe de bois, chicots en voie d’extinction et haleine de champignonnière. Moi en jean slim, Repetto, polo rose Fred Perry et bandeau de pirate pour enfant que j’avais piqué à mon neveu pour l’occasion, j’ai fait une entrée plutôt remarquée…

Heureusement mon tour est assez vite arrivé. Et là bonne surprise, le jury n’était composé que de stars : Barberousse, Capitaine Crochet, Rackham le Rouge. La crème de la piraterie ! Il y avait aussi Bartoloméo et William Kidd que je ne connaissais pas mais qui sont apparemment des pointures dans le métier.

C’est Crochet qui dirigeait les opérations :

-       Ton nom ?

-       Dim.

-       Dim ! Comme les slips ?

-       Oui, voilà, c’est ça.

-       Ba c’est bien, c’est viril. Ça fait pirate quoi ! Tu viens bien pour le rôle de Jack Sparrow ? Parce que pour le premier rôle féminin on a déjà quelqu’un, c’est dommage…

Il lance un regard goguenard à ses camarades qui s’esclaffent d’un rire gras. Je réplique tant bien que mal :

-       Bon ça va ! J’avais pas forcément prévu de m’engager dans la piraterie au moment où j’ai choisi mon pseudo.

Rackham le Rouge de colère intervient :

-       Personne ne choisit cette voie au départ gamin ! Si on en est là, c’est qu’on a tous manqué d’amour !

Il brandissait sa bouteille de rhum avec frénésie. J’avais abordé un sujet sensible. Heureusement l’assistante est entrée pour leur apporter le déjeuner : du taboulé.

J’ai tenté de détendre l’atmosphère :

-       C’est du taboulé…tipiak…ti…tirak… ???

Je ne savais pas trop où j’allais avec cette blague. Je surenchéris, assez fier de moi :

-       Leur volez pas la recette, bande de pirates !!!

Avec le recul, ce n’était pas ma meilleure vanne. Mais il faut dire que pour des américains, la pub Tipiak, ça ne fait pas forcément référence…

Crochet rompt un silence auquel je m’étais habitué :

-       Bon, on va commencer par la scène du perroquet.

-       La scène du perroquet… Vous pouvez m’en dire plus ?

-       C’est la scène où le perroquet fait un solo de trompette et toi tu l’accompagnes au triangle ! Non mais t’es débile ou quoi ? Dans le scénar’, y’a une seule scène avec le perroquet. C’est quand même pas compliqué ! D’ailleurs il est où ton perroquet ?

-       Mon perroquet… Baaaa…c’est-à-dire qu’en fait…j’ai pas de perroquet.

-       T’as pas de perroquet ! Mais t’es quel genre de pirate au juste ? Non mais éclaire nous. On est ouvert, on veut bien essayer de comprendre. Mais pour un pirate, le perroquet c’est la base !

Je me rends alors compte que les cinq hommes qui me font face ont chacun un perroquet vert sur l’épaule droite. Cinq perroquets qui répètent à l’unisson : « C’est la baaaase ! C’est la baaaase ! C’est la baaaase ! »

-       Puisque t’as pas de perroquet on va passer à la deuxième étape de l’audition : tu vas violer la scripte.

J’ai hésité un instant à prendre ces paroles au sérieux. Mais en voyant l’état de la scripte (bas filés, rouge à lèvres jusqu’aux oreilles, cheveux ébouriffés qu’un serre tête avait du mal à soumettre aux lois de la pesanteur) j’ai compris que beaucoup n’avaient pas hésité avant moi.

Elle, se tournant vers Crochet, demande d’une voix lasse :

-       Il faut que j’y retourne Capitaine ?

-       Ah ba, oui Corinne ! Essaie de t’échapper comme tu peux et puis trouve une meilleure cachette que la dernière fois. Mais bon, tu l’as voulu ce stage, tu l’as eu !

Cette opportunité était vraiment trop importante pour ma carrière, je me suis exécuté. Ce ne fut pas bien difficile. Il faut dire que le combat était inégal. Elle courait comme elle pouvait dans son tailleur, avec ses chaussures à talon. Elle était à bout de force, payant les efforts accumulés depuis le matin et les centaines de candidats déjà passés. Alors à la sortie d’un couloir, je lui ai mis une balayette et elle s’est écroulée au pied d’un canon.

Le jury fut assez satisfait de ma prestation.

-       C’était vraiment bien ! Hein les gars ?

-       Ouaiiiiiii !

-       Surtout quand tu lui as mis un coup de latte à la fin. Par contre, t’étais pas obligé de lui tirer les cheveux. C’est cliché. Enfin l’essentiel, c’est qu’on va pouvoir passer à la troisième et dernière étape de l’audition.

Et là, quand j’ai vu rentrer Barberousse avec un vieux et de la dynamite, je me suis dit qu’ils allaient trop loin. Je n’ai pas cherché à comprendre, je suis parti en claquant la porte. 

Je ne suis pas prêt pour Hollywood. Ce n'est pas mon truc l'Actors Studio.